mardi 11 octobre 2011

Je ne savais pas

Je me suis longtemps fréquentée contre vents et marées,
bravant les courants contraires,
accumulant les lames de fond.
Je n'ai reculé devant aucune contradiction.
Plus d'une fois, jai bu la tasse et ravalé mes larmes.
Plus d'une fois, j'ai rassemblé mes troupes dispersées et franchi le Rubicon.

J'avais le goût du vertige et de la brûlure,
La prétention des sommets sans l'appréhension de la chute.
Je voulais mordre ton épaule, seulement ton épaule.
Tes cuisses, ton ventre, ta bouche
Et baiser à n'en plus finir.
Toi, une nuit, toute une nuit!

Mais le réveil sonne toujours trop tôt.

Désormais, aucun bunker ne peut me prémunir d'une attaque.
Aucun abris ne peut me protéger du monstre, qui agite en moi
Ses signaux d'alerte, ses feux de détresse.
Qu'il vienne, je l'attends.
Qu'il arrive enfin!





“Un petit monstre avec une tache verte au fond des yeux”. L’homme, un sourire en coin, m’avait dit ça un jour et les jours suivants. La tache verte se rapportait à la couleur de mes yeux, mais pour “le petit monstre”, je ne savais pas. Dès le premier regard, l'homme l'avait vu bondir à la surface de mon être, quelque part dans le vert. Je pouvais bien tourner la tête ou fermer les yeux. Il était dans la faiblesse au bord de l'iris, les mains qui tremblent, la bouche qui ne sait plus, le désir au ras du pubis. Depuis ce jour, l'homme aimait se tenir à une distance respectable de moi, c'est-à-dire le plus près possible, le sourire de la première fois figé sur les lèvres. Avec le temps, le surnom avait subi des transformations. De “petit monstre avec une tache verte au fond des yeux”, j’étais passée à “petit monstre” pour finir “monstre”. Pour le monstre, je ne savais pas. L’homme se défendait parfois de m'avoir réduite à ma plus simple expression. Mais il en va ainsi des marques d’affection, qui se détériorent naturellement à l'usage.
"Un animal caché derrière un buisson", un homme m'avait dit ça un jour. Un autre homme, un autre jour. Animal ou monstre, je ne savais pas. Aucune révélation ne pouvait éclater à mon sujet. J'avais pris soin de ménager les profondeurs. Mais l'homme était mieux renseigné que moi sur la trahison de l'épiderme. Sur ma peau, une histoire sans parole, qui visiblement en disait long. L'homme écoutait. Je savais bien me taire et embrasser. Pour bien embrasser, il faut se taire, c’est-à-dire fermer sa gueule et ouvrir la bouche.
Les hommes, d’autres hommes, se blotissaient contre moi pour entendre l’histoire. Certains, patients et attentifs guettaient le moment. D’autres se précipitaient pour me retirer mes vêtements. La majorité mettait le feu au buisson pour déloger l’animal, tandis que les plus ambitieux choisissaient de le rejoindre. Mais tous le brossaient dans le sens du poil pour obtenir ses faveurs. Quand enfin, il s’installait dans le corps, la fête pouvait commencer. Les hommes aimaient le sentir bien à sa place, dans le souffle haletant, la respiration qui enfle. Mais rapidement, il décidait d’habiter partout et de s’étendre. Au matin, étalé de tout son long, certains ne tardaient pas à quitter le lit. Pas un n’osait vraiment se mesurer à lui. Dans la nuit, il avait changé de physionomie et déplacé ses appétits. Bien souvent, je me retrouvais seule avec lui, des déclarations informulées au fond de la gorge, des promesses intenables sur les bras.
Je vis avec un monstre comme d’autres avec un animal de compagnie. Jamais il ne se dresse contre moi bien qu’il ne m’obéisse pas au doigt et à l’oeil. Je me moque des surnoms qu’un homme lui donne, des intentions qu’un homme me prête. Maintenant, je sais. Le beaux monstre est en chacun. Et c’est bien comme ça!

Nouvelle écrite pour la Revue À la dérive
http://aladerive.jimdo.com/ 


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