mardi 11 octobre 2011

Haut bas fragile


Ça ne doit pas recommencer. À chaque fois qu’il se le dit, c’est pire que tout. Mieux vaut ne pas y penser mais comment faire autrement. Il sent que ça monte, ça se prépare et lutter ne sert à rien. Un léger picotement dans les narines. Il regarde la télé, pas très convaincant. Un couple se dispute à propos de Bach et Mozart. Une querelle sans queue ni tête, ça ne vaut vraiment pas le coup. Et alors, qu’est ce qui se passe au juste ? Qu’est ce qu’on essaye de nous dire, de nous faire entendre ? On s’en fout de Bach et Mozart, lui s’en fout. Un couple s’engueule, c’est tout ! Les pieds sur la table, il ne bouge pas. Il n’a même pas la force de changer de chaîne. Est-ce qu’il y a quelque chose à comprendre ? Quelque chose qu’il ne comprend pas ? Un début d’érection. C’est bien le moment ! Il pourrait se tripoter les testicules, mais il n’a pas le goût. Il laisse faire. Des cartons sont empilés contre le mur. Ils traînent là depuis des jours. Des inscriptions au marqueur, « Haut- bas- fragile ». Ne pas penser à ça, surtout pas. Il a déballé le nécessaire. De quoi tenir sans avoir à s’inquiéter. La radio, outil indispensable à sa survie. Quand par miracle, Léonard Cohen passe sur les ondes, il ignore à qui rendre grâce de cette bénédiction. Il sait que la télé ne donnera rien, mais il la regarde quand même.
A quand remonte la dernière humiliation ? A peu près au même moment que le déménagement. Si ça revient, ce sera pire que tout. Tout seul et incapable de se contrôler. « Haut- bas-… ». Il se pince le nez. Il ne faut pas que ça revienne, surtout pas ! Mais ça continue de monter en lui. La dispute prend une mauvaise tournure, juste pour Bach et Mozart. Une crampe dans le genou droit pourrait lui faire fléchir la jambe. Mais c’est sa volonté qui a une crampe, son orgueil. Pire que ça, il est paralysé. Rien ne fonctionne correctement chez lui, le genou comme le reste. Il se souvient d’une nuit où il avait mis des bouchons d’oreilles. Il n’arrivait pas à dormir. Sa femme parlait dans son sommeil. Après avoir exploré ses bas fonds, il s’était élevé à hauteur de ses désirs. Il avait rejoint les sommets. Pour monter, il faut savoir descendre. Monter en elle, monter en lui. Plus tard dans la nuit, les bouchons dans les oreilles, directement connecté à sa vérité intérieure, son souffle amplifié, sa respiration forte. La voix étouffée de sa femme, insupportable ! Il avait retiré les bouchons. Cette fois, c’est sûr, ça va revenir. Il retient, se retient. Il renifle un peu, puis plus fort. Quelques paroles à la volée, c’est comme ça qu’il avait appris la mauvaise nouvelle pendant qu’elle dormait. Quoi de pire ? Tu ne peux rien dire, juste encaisser. Un grand coup dans le ventre, qui te coupe net la respiration. Tu bien essayer de l’entendre ton souffle après ça, tu peux le chercher longtemps. C’était revenu comme ça dans la nuit. Un grand coup dans le ventre et tu te retrouves à saloper les draps de sang. Une vraie gonzesse ! Parce que ta femme te trompe avec ton meilleur ami, d’une banalité à crever. Parce que son corps réclame l’autre. Il ne s’attendait pas à tomber si bas. Monter, monter et puis tomber, tomber. Quelle vacherie ! L’érection n’a pas duré. Il s’est dégonflé. La dernière humiliation, c’était peut-être devant le juge. Au moment de signer le divorce, il avait dégueulassé les papiers, des grosses gouttes rouges comme des tâches d’encre. C’était peut-être à cause de la garde des enfants qui revenait à la mère. Parce que c’est souvent le cas. Parce que les enfants sont des enfants. Une femme adultère, il n’avait pas la force de prouver ça, de s’attaquer à elle. Il avait laissé faire. Et puis vlan ! Voilà que ça revient ! Il n’y a rien à faire. C’est comme ça ! ça toujours été comme ça depuis qu’il est tout gamin. Il se dit que son humanité est concentrée dans son nez et l’idée l’amuse, un peu. Dès que l’émotion le déborde, qu’il est dépassé, son nez se met à pisser le sang. Et maintenant ? Stopper l’hémorragie et éteindre la télé. Ni Bach ni Mozart !

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