jeudi 1 décembre 2011

Parution A la dérive, N°2

Et puis, plus tard

Chaque année, il faut que ça recommence, Noël. Invariablement, ça revient, l'enfance. 

Autrefois, l'euphorie nous tenait éveillés dans nos lits une partie de la nuit. On attendait fébriles et impatients de découvrir les cadeaux au pied du sapin. C'était simple et joyeux.  


Et puis, des années plus tard, sans nouvelle depuis le 23 décembre, on l'appelle. Elle ne répond pas. Ce n'est pas normal. C'est inquiétant, le téléphone qui sonne dans le vide. Il faut aller voir sur place, savoir ce qui se passe exactement. On ouvre la porte, plus de salive dans la bouche, plus de souffle non plus, plus de bouche. Elle est couchée sur le sol. Morte. On ne sait pas, on n'ose pas. Elle est vivante. AVC. Accident cérébral vasculaire. C'est ce que diront les médecins, plus tard, les pompiers d'abord. On doit aller les chercher jusqu'à la caserne sans souffle ni salive, parce qu'au-delà d'un certain âge, les urgences ne se déplacent pas. Elle part avec la sirène et la porte se referme derrière elle. Plus personne ne pourra remettre les pieds chez elle après ça. Elle non plus. On est loin de l'enfance, simple et joyeuse, de l'escalier en bois qu'on descendait en trombe pour découvrir les cadeaux au pied du sapin. Le temps qui vient est long et douloureux. On compte les jours, les semaines, les mois. Mais on avance. Elle aussi. Elle va mieux, de mieux en mieux. On retrouve confiance, espoir, le rire, la joie. L'enfance revient sur la pointe des pieds. Et puis, elle va de nouveau mal, de plus en plus mal. Après neuf mois de courageux combat, elle succombe. Et l'enfance s'étiole sans combat ni courage. 

Et puis, des années plus tard, il faut que ça revienne, encore. On apprend la nouvelle après des mois d'examens médicaux, de diagnostics contradictoires. Cancer. Peu développé, mais cancer. Et la thérapie commence. Des poignards invisibles s'enfoncent un peu partout dans le corps. On ne sait plus situer la douleur. ne pas pleurer, surtout pas devant lui, ne pas montrer, juste encaisser. Chaque moment compte, chaque instant. Demain. On ne sait pas demain. Il n'y a plus que le présent. Le présent pendant un an. Et puis, le cancer est stabilisé. L'enfance revient à grand pas, l'euphorie presque. Il est vivant. Après lundi, mardi... mars, avril... on ne craint plus de faire des projets, de ne pas attendre demain. Demain est un autre jour, chaque jour est un nouveau jour. On se réjouit de l'enchainement des semaines, des mois, des années, oui, des années. Et puis, le mal revient, plus fort, plus intense. Le cancer récidive. Et il n'y a rien à faire. Juste compter le temps, celui qui reste. On voudrait revenir en arrière, refaire l'histoire, mais le passé nous condamne, les souvenirs sont des plaies. Chaque jour est un adieu. Chaque jour sont des retrouvailles. Ne pas pleurer, pas devant lui, mais dans son dos tout le temps. Il n'y aura pas des mois, encore moins des années. On le sait. Seulement quelques jours. Le temps qui est, c'est tout ce qui reste, avant qu'il ne soit trop tard. Et puis, c'est trop tard. Il meurt. Quelques jours après Noël, à l'époque de nos pas impatients qui descendaient l'escalier en bois de notre grand-mère.

C'en est fini de l'enfance, définitivement. Et de Noël, on n'en parlera plus. 
Mais on est loin d'en avoir fini avec la mort de mon père.

Photos: Eric Sourdieux 
www.regarts-ericzs.blogspot.com

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