mercredi 7 décembre 2011

Mon antre, mon autre

23h45
Tout est sa place dans la chambre, la poussière sous le lit, les cheveux, les poils, les soupirs agglutinés aux rêves, le sommeil confiant de la veille, la respiration apaisée du matin. Tout est à sa place, sauf moi.

23h51
J’ai envie de retourner le matelas, secouer les draps, frapper les oreillers, chasser la poussière, les cheveux, les poils, me débarrasser de tout ce qui traîne. 
Effacer tous les plis de la nuit. Disparaître dans les plis de la nuit.

00h00
J'évite de me croiser dans le miroir.

00h02
Mes pensées ne mènent nulle part. 
Seule, je n’y arrive pas. Seule, je ne sais pas.
La tête enfoncée dans l’oreiller, je hurle, seulement pour entendre le cri, ma voix animale.

00h34
Mes mains cherchent à tâtons une réponse. J’avance en aveugle.
Rester enfermée jusqu’à ce que je retrouve le chemin.

00h53
Je repousse les murs pour ne pas me cogner.


01h16
Il n’y a pas une direction, mais mille, mais cent. 
Il n’y a pas une vie à satisfaire. 
Il n’y a pas de solutions, pas une.
Une fissure traverse le plafond. Je suis coupée en deux, désunie.

01h24
Je me cramponne au familier, au quotidien, à l’ordinaire. 
Je suis effroyablement prévisible jusque dans mes contradictions.

01h43
La même ligne du départ à l’arrivée, seule du début à la fin.

02h05
Je ne quitterai plus le lit, malade à temps complet, impotente volontaire. 
Je mangerai la poussière, je me couvrirai de poils, je me cacherai derrière mes cheveux.
La fissure ne me laissera aucune chance.

02h16
Un jour, je me souviens, l'ouverture. 
La première fois, l'étonnement, je ne peux pas soutenir ton regard. 
Plus tard, un sourire sur ton visage, je m'approche. 

02h37
Ton regard fouille au plus sombre de moi, la part enfouie, la face cachée. 
Tu descends, creuse plus loin, aussi bas que possible. Je remonte dans la lumière de tes yeux. 
Mon ignorance est sans limite.

03h02
Ton corps intarissable me parle de tout ce que je crois savoir et que je ne connais pas. 
Tout ce que je crois être et que je ne sais pas. 
Ensemble, nous inventons le silence.

03h43
Je caresse tes creux, tes pleins, tes lignes de force, tes points de fuite. 
J’accueille toutes tes contorsions. Je bois toutes tes humeurs. 
Je me réjouis de toi.

04h11
Je m'ouvre à la béance sans restriction. Aucun gouffre n'est assez profond pour m'engloutir. 
La peau, nous allons au bout de la peau. 
Et le rire submerge notre voix.

04h51
Je me blottis dans ton odeur. J'abandonne mes dernières forces dans tes bras. 
Toi, une nuit, toute une nuit. Nous avons commis le miracle.

05h13
L’aube sur tes lèvres, la beauté du monde entrouvre ta bouche. 
J'embrasse le monde entre tes lèvres. 
J'embrasse la beauté sur ta bouche.

05h36
Je ne reconnais plus la chambre. 
Tout a changé de place, sauf moi.

05h59
Il y a un endroit en moi que tu connais où je suis bien, où je sais te trouver. 
Il y a un endroit...


Photos: Anne Bouillot
http://www.annebouillot.com/ 

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