Ma
joue contre le cuir du canapé, la peau finira par s'arracher. Ma
respiration vient s'échouer à l'arrière de mon crâne. J'ai mal à
la tête, une mauvaise nuit à croupir au fond du lit à tes côtés,
les mots à l'assaut de ton corps, épuisés.
"–
Je t'aime.
– Dors."
Je
laisse ma joue contre le cuir du canapé. Quand je la décollerai, ça
fera un bruit bizarre. Je ne saurais pas dire lequel, mais je saurais
le reconnaître, un peu comme toi. Je ne sais pas mais je te
reconnais. Ta peau, ton corps, ton odeur, ça et tout le reste, tes
mots, ta présence...
"Dors."
Une
nuit j'ai pleuré à cause d'un mal de tête qui ne partait pas, ça
et tout le reste. Les larmes sur le lino, je les ai entendues tomber.
Ploc, ploc et ça redoublait, la douleur, les larmes, un mal de
chien. Je n'aurais pas cru l'entendre un jour, un mal de chien qui
s'écrase contre le lino.
"Je
t'aime."
Je
m'arrache à la chaleur ruisselante qui coule au fond de moi, la
marque de la couture du canapé en travers de la joue. Dehors, les
rues, les façades, le bitume croulent sous les 40°.
Je
me souviens du bruit des feuilles dans le vent, respiration plus
ample et fluide que la mienne. C'était l'été dernier, nous étions
sous le tilleul, la tête contre l'écorce. Le soleil par petites
touches sur la peau, l'arbre imprimait ses stries à l'arrière de
mon crâne. J'attendais que la pluie nous piquent les cheveux, les
joues, le visage. J'attendais l'orage qui coulerait sur nous, de
partout, la foudre qui nous prendrait ensemble.
Je
marche sans savoir, sans reconnaître mes pas et le nom des rues.
Tête nue sous le soleil brutal, je voudrais épuiser les mots à
l'assaut de mon corps.
La
joue contre le sol, la peau finira par lâcher. Quelqu'un me glisse
une chemise à l'arrière du crâne, des parapluies s'ouvrent
au-dessus de moi. J'ai mal à la tête, du sang dans la bouche, ça
fuit, ça coule, ça s'échappe. Je glisse et je m'enfonce dans le
goudron, mes yeux vont se fermer.
Un
sourire hésitant au-dessus de moi, tu me regardes sans rien dire. Le
médecin m'a tout expliqué: la violence du choc, la voiture qui n'a
pas freiné. J'ai mal à la tête, pas de fractures, de paralysie, de
traumatisme crânien, une série de points de suture à l'arrière du
crâne, vingt au moins. Le comas artificiel m'a sauvé la vie, ça et
tout le reste, les parapluies, la chemise, les pompiers. Je m'agite
un peu, la conscience du danger me tombe dessus:
"–
Ils avaient engagé le pronostic vital, tu te rends compte, le
pronostic vital!
– Dors."
Paru in A la dérive, N°4, Dévorante passion
Photos: Eric Sourdieux
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