vendredi 16 mars 2012

L'effondrement


Un claquement dans la tête, CLAC, commotion cérébrale. Une détonation dans la poitrine, PAN, crise cardiaque. L'effondrement, ça y est ! Le mal est innommable, mais le mal existe, il est réel. Il se répand rapidement, dans la tête d'abord et puis le corps.

Oui, j'ai vécu la violence du choc, la violence je vous le dis, du choc, vous pouvez me croire.

Bientôt, j'aurai tout oublié, une bouillie circulera librement à l'intérieur de ma tête, la mélasse dont on croyait s'être débarrassée viendra bruiter à nos oreilles, GLOUGLOU.

Qui aurait pu croire que ça arriverait ! Plus jamais ça !

Ça n'est pas fini, ça ne peut pas finir, ça ne finira jamais. L'histoire, de préférence ancienne, vécue en d'autres temps, et connue, condamnée, va se répéter avec effacement obligatoire de la mémoire, RESET. Et on recommence encore encore encore et encore et encore et encore encore encore. CLAC, PAN, GLOUGLOU et puis plus rien, c'est foutu, fini, terminé.

Tant que je peux articuler, je parlerai.

Tant que je peux bouger, je réagirai.

Je me souviens comment c'est arrivé, avant la violence du choc.

 

 

Elle arrive bras ouverts jambes écartées. Elle ne veut pas embrasser, caresser, étreindre, protéger, consoler, rassurer, apaiser. Elle veut ouvrir les bras, redresser le cou et dégager la poitrine, cou dressé, poitrine tendue. Elle veut se montrer, bras, jambes, cou, poitrine, venir au-devant de la foule pour brandir son corps. Elle ne fléchira pas devant l'obstacle, ne s'inclinera pas devant l'ennemi, ne s'abaissera pas devant les intimidations. Elle veut convaincre mais pas séduire, bras ouverts jambes écartées. Elle veut. Cou dressé, poitrine tendue.

C'est une femme, à tout point de vue. Biologiquement c'est une femme, organiquement c'est une femme, hormonalement c'est une femme, génétiquement c'est une femme, sexuellement c'est une femme.

C'est une femme.

Elle harangue la foule, s'avance au-devant du peuple, l'exhorte à réagir, parle en son nom. Le peuple délaissé, oublié, sacrifié, humilié, écrasé, trahi, les ouvriers aliénés aux chaînes de production, les ouvriers licenciés des usines sauvagement délocalisées. Elle veut accueillir la classe ouvrière, bras ouverts jambes écartées. C'est elle le peuple Français, la voix et le corps des invisibles.

Elle prend forme. Elle hausse le ton.

Le modèle du fédéralisme et du mondialisme est un équarrisseur du peuple.

Le Grand Capital a broyé le peuple.

Tous les gouvernements successifs ont participé au système d'exclusion du peuple.

Maintenant, les responsables doivent payer.

Le peuple Français est le souverain de la Nation.

Le peuple Français doit choisir son avenir.

Le peuple Français doit retrouver sa liberté.

Le bulletin de vote est l'arme du peuple et le peuple ne se trompera pas.

Maintenant, c'est son heure.

Elle se dégage du pupitre, prise par l'ivresse du discours, s'avance au-devant de la foule pour le vertige du podium, l'acclamation, l'exaltation, la ferveur fanatique, le sang qui monte à la tête, les visages transfigurés, les maxillaires rageuses, les jugulaires exacerbées, les temporales explosives, l'aorte gonflée à bloc à la limite de l'anévrisme, femme vampire au sourire carnassier, à la formule affûtée, à la déclaration tranchante, à la haine hémorragique.

Une nuée de drapeaux français, étendard déployé, flotte et claque derrière elle, des coups de fouet qui exaltent le verbe, exultent la foule, portent haut les valeurs du parti. Elle veut sentir le vent de la Nation se lever en elle, avec elle et pour elle. Elle veut rendre la Nation aux citoyens, la France aux Français.

Elle aime les Français qui aiment la France, la Nation, ceux qui chantent la Marseillaise sous le drapeau la main sur le cœur, la main qui se retient du salut, paume plate et bras tendu. Elle agite le sacrifice des Harkis, leur sang pur versé pour la patrie, mouchoir blanc en guise d'armistice. Elle ne cite pas les immigrés, ils n'ont pas le droit de cité. Elle laboure sur toutes les terres qui peuvent lui donner raison, servir ses arguments, conforter les vérités qu'elle dénonce. Elle agite les peurs des Français, pavillon à tête de mort : l'insécurité, le chômage, l'injustice sociale, l'incertitude de l'avenir, la montée de l'Islamisme, le repli communautaire.

Elle pense et elle tient à le faire savoir, à le faire entendre, dans les meetings, sur les plateaux télé, à la radio, dans les journaux, dans les villes, les campagnes, en France, à l'étranger, dans le monde, elle veut, bras ouverts jambes écartées, faire circuler ses idées, communiquer.

Elle tient à ses idées, toutes sont à peu près d'elle sinon d'héritages inavouables, enfouis, obscurs, qu'il vaut mieux taire pour le moment, enterrer avant le retour des morts-vivants, des profanateurs de sépultures. Elle est prête à se battre pour défendre ses idées, à sortir les chiens muselés, habitués à grogner et dressés pour mordre.

Elle détourne sa langue, rhétorique habile usée à toutes les contorsions. Elle négocie, arrange, débarrasse les escarres nuisibles. L'image est clinquante mais respectable, le danger écarté. Elle nettoie, aseptise, karchérise le monstre. Ses nouveaux soldats, costume impeccable, polis et policés, détendus et souriants, grossissent ses troupes, torse bombé, sans crainte et sans reproche. Le diable en exil, hors de vue, sommeille en elle.

Elle détourne son image, compromise avec sa langue, talons hauts et bas noirs, jambes fines et croisées, elle féminise la posture, adoucit le mensonge pour augmenter l'adrénaline des sondages, faire monter la testostérone au niveau de la ceinture, faire grimper le baromètre de sa cote de popularité. L'index posé sur la bouche, elle écoute et répond aux questions, aux agressions injustifiées, aux malentendus déplacés, victime du bâillon sous-démocratique, malade du système Républicain, victime innocente de père en fille.

L'agressivité n'est pas de son côté, elle rend les coups, se défend de la cabale infondée montée contre elle par les partis politiques et alimentée par les médias. Elle s'offre au sacrifice du pouvoir, Jeanne d'Arc en proie aux flammes, martyr incandescente à la virginité de pacotille. Héritière parricide qui exhibe le cadavre du père, orchestre la danse macabre où chacun joue sa partition.

L'index posé sur la bouche, elle attend son temps de parole, compté, décompté, escamoté, tronqué, amenuisé. L'index posé sur la bouche, elle attend et prépare ses réponses, l'angle d'attaque, après la sélection intérieure des fiches, des cadavres du passé, des intentions ravageuses, de l'idéologie au visage génocide, visage qu'il faut masquer, travestir, transformer, transfigurer, déformer.

L'index posé sur la bouche, elle attend.

Le sourire aux lèvres, le regard fixe, elle avance ses idées l'une après l'autre, calmement et fermement, elle avance, progresse, s'infiltre, s'immisce dans les foyers, les consciences, gagne du crédit, des points, des intentions de vote, des électeurs, des partisans, des militants, des sympathisants, des Français. Sourire aux lèvres, regard fixe, elle avance. Les mains jointes pour appuyer ses propos, les doigts croisés pour contenir la colère, elle avance masquée, mais elle avance.

Elle revendique le droit à être soi-même, même si soi-même c'est renier la différence, se replier sur soi pour se protéger de l'autre, l'étranger, l'anormal, l'inconnu, réduire l'homme à l'état de race, consigner les femmes au foyer avec la culpabilité de l'IVG, restituer l'ordre et la morale, la surveillance et la punition, rétablir le châtiment par la peine de mort. Elle veut défendre les libertés individuelles, la liberté tyrannique, dictatoriale soumise à son modèle. Elle veut imposer le changement, bras ouverts jambes écartées, soumettre son idée d'une nouvelle société.

Préparons-nous, bras fermés jambes serrés, l'Homme Nouveau va arriver.

 

 

Avant, j'étais un homme, ma colonne me tenait debout, mes jambes supportaient le poids de mon corps, les pieds ancrés dans le sol.

Avant, j'avais un corps et une tête.

Avant, j'avais un visage et un nom, une identité, j'appartenais à l'espèce humaine.

Avant, je m'efforçais de rester droit.

Avant, je tombais et je me relevais.

Je tombais et je me relevais.

Je tombais et je me relevais.

Avant